Texte mis en ligne le 16 août 2005
Je me souviens du mépris mêlé d'incompréhension,
de fascination aussi, que j'éprouvais à l'égard
des gens que je voyais courir sur les trottoirs, au volant de ma voiture,
la clope à la main. Je ne pouvais pas compendre que l'on puisse
se faire du mal comme ça, au milieu des gazs d'échappement.
Allez courir dans les bois, dans les chemins ! Que je leur disais dans
ma tête. Restez pas là , ça pue, c'est
moche et c'est dangereux. Pour vous... pour nous aussi automobilistes.
Vous faites chier avec vos poumons et vos muscles en bon état...
Sentiments mêlés,
oui.
Je me repasse ces scènes en boucle parfois quand je traverse
les passages pour piétons en allongeant ma foulée. Ma belle
foulée devrais-je dire. Regardez la ma belle foulée mesdames
et messieurs les automobilistes qui attendez au feu et me voyez courir.
Regardez comme je cours bien en ville. Je sais ce que vous vous dites,
en vous, dans votre tête enveloppée de fumée, je
le sais bien. Que je devrais courir sur les chemins, au vert, au frais..
mais j'y vais justement. De cette belle foulée, j'y vais. Et je
suis bien obligé de traverser la ville en courant
pour y aller. En partant de chez moi. Je ne vais tout de même pas
prendre la voiture. Oui, je l'ai fait, absolument. Au début. Je
prenais toujours la voiture pour aller courir. 20 minutes pour aller,
20 minutes pour revenir... J'en ai eu marre.
Et puis il y a autre chose, il y a que j'ai besoin de courir toujours
plus, toujours plus longtemps. De façon beaucoup plus spontanée,
immédiate. N'importe quand, tout de suite. Donc, oui, je traverse
la ville en courant pour rejoindre un chemin, un parc, un chemin de halage.
Et je me prends les gazs d'échappement et les bouffées
de chaleur des moteurs et je cours à côté des voitures qui roulent au ralenti.
Je ne suis pas un bon coureur. Je ne fais pas de bonnes perfs. Je ne
cours pas vite. Je crois savoir pourquoi. J'ai une mauvaise hygiène
alimentaire. Je ne mange pas mal, je mange trop. Lorsque j'ai arrêté de
fumer, je n'ai pas changé mes habitudes alimentaires (j'ai même
un peu eu tendance à forcer de ce côté). Faut pas exagérer
quand même ! Je n'allais pas non plus tout arrêter : la cloppe;
la bouffe et la boisson... et le sexe pendant qu'on y est ! Non ! J'ai
arrêté de fumer et
j'ai couru, voilà. Le reste, je ne change rien. Je n'ai jamais été un
pochtron. Donc, je continue, lorsque l'occasion se présente de
boire un bon coup entre copains ou en famille. Jamais seul, même pas une bière.
Et je continue de manger... La sexualité ? Qui a dit que j'en parlerai ?
Sérieusement, en arrêtant de fumer j'ai pris 4 à 5
kilos rapidement.
Impossible de les perdre. Malgré les entraînements, les
courses. J'ai pris du bide et il ne veut pas me lâcher. Est-ce
cela qui m'empêche
réellement d'améliorer mes performances ? Je n'en suis
pas certain. Ce serait plutôt le manque d'envie d'aller chercher
ces performances. J'y songe. Je m'astreint à des plans d'entrainement,
sans doute pas assez sérieusement.
Je cours 3 fois par semaine. 40, 45 minutes par séance. Parfois
je fais "du fractionné". Ca fait bien de dire ça.
Mais je ne le fais pas assez rigoureusement, même si je me suis bien documenté sur ce
sujet. Même si je dispose de plans d'entraînements fiables.
Certes, les possibilités d'améliorer mon endurance et
ma vitesse sont réelles, comme pour tout le monde, mais ai-je
envie de me faire mal pour cela ? Je ne sais pas trop. Je m'écoute beaucoup depuis que je
cours.
J'écoute mon corps, avant la course, pendant la course, après.
J'écoute mes articulations qui me disent "étires toi davantage, bois
plus !". Mes muscles me le disent. "Manges moins de graisses". "Moins
de gâteaux", ça, c'est ma compagne qui me le dit. Si
je veux courir un marathon dans de bonnes conditions, c'est-à-dire sans devoir mettre 6 mois à m'en
remettre, il est nécesaire que je sois plus rigoureux dans mes
entraînements et avec mon alimentation. Que je me prépare
mieux, plus efficacement
Mais il est évident que si je me fixe un objectif bas, voire très
bas en terme de performance, je n'ai pas aucune crainte à avoir
en ce qui concerne l'après marathon. Si je me fixe de faire la
distance, c'est tout, quelque soit le chrono, je ne risque rien. Mais
voilà, ai je
envie seulement de cela ?
Dilemme.
Je pense que je vais m'entrainer, me préparer, le mieux possible
et viser un chrono... honnête.
Le marathon, c'est un symbole pour moi, comme je l'ai déjà dit.
La première fois où j'ai pris conscience
de ce qu'est un marathon, c'est en voyant le film "marathon
man".
Ce qui n'a rien à voir
avec le sport. C'était il y a vingt ans, à la
télé.
Bien sûr; mille choses dans ce film sont intéressantes,
mais puisque je parle de courir, Dustin Hoffman sauvant sa peau en courant, ça, ça
m'a marqué. Courir pour sauver sa peau.
D'abord, il court au début du film, comme ça, pour le plaisir
et puis il sera obligé de courir pour survivre, pour échapper à ses
tortionnaires nazis. Courir dans la ville, à perdre haleine... et puis, une fois la
menace passée, à la fin du film, il reprendra les chemins
de Central Park, tranquillement, pour le plaisir.
Texte mis en ligne le 12 janvier 2004
Bientôt 6 mois.
6 mois sans clopes. 6 mois sans une seule cigarette. Pas mal non ? Pour
un ex-fumeur comme moi… Un vrai fumeur. Minimum un paquet par jour
pendant 27 ans ! N’essayez pas de compter. Surtout pas de savoir
ce que ça représente comme argent… 27 ans oui, de
13 à 40 ans. L’année dernière, le 14 juillet
2003, j’ai dis à mes enfants et à ma compagne en revenant
d’un petit footing : « aujourd’hui j’arrête
de fumer. Je vous prends à témoin. Cette fois-ci c’est
la bonne. J’arrête. Je ne touche plus à une cigarette
»
J’avais déjà fait quelques tentatives, partielles,
dirais-je, car je fumais toujours tout en essayant d’arrêter.
Une fois avec l’aide de l’acupuncture, une autre fois avec
des patchs (que je gardais même la nuit ! Au matin, c’était
l’horreur !... on y reviendra). Ca n’avait pas fonctionné.
Mais cette fois, ce 14 juillet 2003, ça devait être la bonne…
c’est la bonne.
Fumer ah fumer !
J’ai commencé par fumer de la liane, avec
les copains, dans les bois autour de mon village… à 11 ans
peut-être. C’était âcre, fort, ça brûlait
la gorge, mais c’était si bon de se sentir un homme à
11 ans, avec tous les copains. On rentrait à la maison à
vélo en ouvrant grand la bouche pour faire disparaître l’odeur.
Ni vu ni connu.
Ma première vraie cigarette, ce fut dans ce même village,
avec un copain un peu plus âgé, plus mûr. Dans la grange
de ses parents agriculteurs. 13 ans oui, quelque chose comme ça.
Une cigarette de temps en temps. Et puis plusieurs.
A 15 ans je fumais devant ma mère. Je garde toujours
en mémoire cette image de moi, discutant avec ma mère d’une
mauvaise note que j’avais eu au collège, la clope au bec.
Voilà, je ne culpabiliserai pas plus ma mère que cela, mais
bon, voilà, à 15 ans je pouvais parler avec ma mère
en fumant. Pas de père à la maison. Des grands frères
qui fument tous depuis longtemps aussi. Tout le monde d’ailleurs
chez moi. Ma mère par contre n’a pas fumé jeune…
pas avant 30 ans je crois !
Après je vis avec la cigarette, tout le temps.
J’arrive même à certaines périodes à
vivre par et pour la cigarette.
Vers 19-20 ans je fume 3 paquets de Gitanes sans filtre pour « faire
comme Gainsbourg ». Je fume en être malade. Mais c’est
si bon !
A 23 ans j’ai mon premier enfant. Je n’arrête
pas de fumer. Je fume parce que je suis accroc. Je fume par nécessité,
plaisir et dépendance. J’en suis conscient depuis des années
déjà. Je fume depuis 10 ans déjà et je pense
tous les jours à arrêter, mais je fume. Le fumeur est quelqu’un
d’incroyablement complexe et compliqué. Il sait le mal que
peut faire la cigarette. Il sait l’argent qu’il gaspille.
Il sait qu’il dérange. Il sait tout. Il sait pourquoi il
faudrait qu’il arrête et pourquoi il a envie de continuer.
Il vit dans le paradoxe en permanence. Il se dégoûte et en
même temps il admire son propre geste, sa propre allure la clope
au bec. Il admire l’acteur fumeur au cinéma. Ca le fait rêver.
Il sait le pouvoir de séduction que détient la cigarette.
Il sait que ses gestes de fumeurs plaisent. Et en même temps il
sait combien l’odeur de sa clope gêne du monde. Il vit dans
la honte, la peur de mourir et en même temps le plaisir constant,
permanent. Le tabac, la nicotine lui procurent ce plaisir fugace et si
intense à chaque instant. Chaque cigarette grillée. Et puis
tous ces gestes. Ces allumettes craquées, ces molettes de briquets
frottées. Combien de fois ? Ces gestes avec d’autres fumeurs.
Ces échanges de cigarettes. Ces taffes partagées…
Vous l’avez compris, j’adorais fumer et en
même temps je savais qu’à moment donné il faudrait
que j’arrête.
Courir pour arrêter
J’ai commencé à courir vers 35 ans.
Un peu de footing. Au début 1 à 2 km à chaque séance
une fois par semaine. Et puis 2 ou 3 km. Tout en continuant de fumer mon
paquet par jour. Mais bon, je me disais que ça équilibrait
un peu. J’étais assez fier de moi, mon cœur semblait
bon. Mes muscles pas trop encrassés. Je me suis remis au judo aussi,
en 1998-1999. Là, c’était plus dur. Pas assez de souffle
! Impossible de tenir un combat : trop rapide, trop d’accélérations.
Mais je tenais bon et je prenais beaucoup de plaisir sur le tatami. Je
continuais de courir un peu. J’arrêtais par périodes,
puis je reprenais. J’ai adoré les premières sensations
en courant. Des sensations qui ressemblent un peu à celles, fulgurantes,
de la cigarette. Des petites sensations liées aux montées
d’adrénalines… à l’endomorphine aussi
je suppose. Ce truc qui vous fait prendre du plaisir tout en souffrant.
Enfin, bon, je ne suis pas spécialiste. Je cherchais donc un équilibre.
Fumer et courir, me semblait un bon compromis. Je m’inscrivai même
à des petites compétions, des cross de 5 à 7 km.
J’étais fier.
Mais à partir de 2000, 2001, je ne supportais
plus la cigarette. Je ne me supportais plus en tant que fumeur. Je ne
supportais plus non plus les campagnes anti-fumeurs. Je ne supportais
plus de fumer devant mes enfants. Je me sentais de moins en moins capable
de leur dire de ne pas fumer alors que moi je le faisais.
Je rêvais d’être seul en fait et de pouvoir fumer tranquillement.
Sans culpabiliser, sans pression aucune. Etre seul avec mes chères
cigarettes. Mais bon, c’est pas la vie ça.
Donc voilà. Pendant 2 ans je me suis complètement
dégoûté, dégoûté de moi-même.
J’attendais le moment où je me sentirais prêt. J’attendais
de sentir en moi un déclic, un truc physique qui me ferait basculer
de l’autre côté. Je continuais de courir. Début
2003 j’avais repris la course un peu plus intensément. Les
vacances d’été approchaient et je me disais que je
pouvais saisir cette opportunité encore une fois (j’avais
déjà tenté d’arrêter de fumer pendant
les vacances d’été en 1998-99. Résultat, j’avais
réduis un peu tout au plus…).
Et puis il se passait en moi, dans mon corps quelque
chose de formidable : j’éprouvais de plus en plus physiquement
le besoin de courir. Je savais que c’était normal. J’ai
pas mal d’amis sportifs qui m’avaient expliqué ce phénomène.
La course engendre la course, le besoin de courir. J’arrivais à
me dire qu’il me fallait des objectifs de course. Je voulais atteindre
des objectifs. Aller plus loin, tenir plus longtemps. J’en étais
à une dizaine de kilomètres 2 fois par semaine à
peu près. Je trouvais ça génial.
Et puis, j’avais 40 ans ! 40 ans donc 27 passés
à fumer. 27 ans la clope au bec 365 jours par an ! Ca avait assez
duré. 40 ans, je me dois de faire attention si je veux que mes
enfants me voient encore quelques années. Si je veux voir grandir
mes 2 derniers. Plusieurs fois j’avais eu des angoisses en pensant
à mes enfants qui ne me verraient pas vieillir encore longtemps.
Je crois que la crise de la quarantaine m’aidait à me convaincre
d’arrêter de fumer.
Début juillet 2003 donc, je me suis un truc complètement
crétin mais qui fonctionne encore aujourd’hui : je me donne
un an pour devenir un athlète ! Eh oui, un athlète. A moi
de définir ce qu’est un athlète, quel athlète
je veux devenir. Y’a pas de raison. Je peux devenir un athlète
moi aussi. L’athlète que je n’ai pas été
étant jeune.
Alors c’est quoi un athlète pour toi mon
gars ? Un type qui peut courir un marathon… oui, pourquoi pas, tu
as raison. Je me donne un an pour courir un marathon. M’entraîner
pour arriver à cet objectif.
Le 14 juillet 2003 donc, j’ai annoncé que
j’arrêtais de fumer.
Aujourd’hui, janvier 2004, je garde toujours le
même objectif. Je m’en sens capable.
J’ai arrêté de fumer et je vais devenir
l’athlète que j’ai toujours voulu être en fait
! Un rêve de gosse !
Dans le détail comment ça se passe quand
on arrête de fumer.
Je pense tous les jours à la cigarette. Tout le
temps à tous moments. Le tabac est en moi, la nicotine aussi, encore,
le geste est là, gravé dans ma mémoire, dans mon
corps.
Je pense à la cigarette, je pense à fumer. Je pense à
quand je fumais. Je me revois fumeur. A travers les autres fumeurs aussi,
je me revois. Dans un film, je me revois quand je fumais.
C’est pas facile d’avoir été fumeur.
Au début même, les 15 premiers jours j’avais
des douleurs dans les bras, un peu partout dans le corps. Des espèces
de contractions musculaires peut-être. C’était le manque
je crois, paraît-il.
Et puis ensuite et en permanence vient l’envie, l’envie de
reprendre un cigarette. Ah oui, mais là, attention. Si j’en
reprends une, je recommence. Je le sais. Je le sens. Je suis un vrai fumeur
moi. Pas un crapoteur. Ca veut dire que si je fume une clope, j’en
fume 20 ! Pas question de diminuer, de ralentir. J’arrête
ou pas, c’est tout.
Alors il faut compenser.
Courir, oui bien sûr. Mais je ne vais pas courir en permanence,
18 heures par jour !
Alors quoi . Boire. Oui boire. Avoir une bouteille à portée
de la main, tout le temps. Pour remplacer la tétine… pardon,
le téton.. heu… le filtre, la cigarette. Boire, Téter
le goulot de la bouteille et se remplir le bide de flotte. C’est
très important ça. Je me suis rendu compte que lorsque j’avais
le ventre rempli d’eau, je n’avais pas envie de fumer. Ce
fut une grande découverte ça !
Au début, assis à l’ordinateur, c’est
terrible. Mes mains cherchent les cigarettes. Alors il faut que je me
lève. Faire quelques pas. Attraper la bouteille d’eau et
boire, debout, en marchant. Me rasseoir et boire encore un peu. Puis reprendre
le boulot. Quand l’envie est trop grande, il faut sortir carrément
. Faire un tour dehors.
Arrêter de fumer c’est difficile. Pénible
et chiant surtout. Au début. Les journées sont longues.
Tellement longues ! L’ennui. Qu’est-ce que je faisais avant,
là, pour m’occuper, pour ne pas trouver le temps long…
je fumais. Ah oui, c’est vrai !
Maintenant, non, je ne trouve plus le temps long sans cigarette. Au bout
de 6 mois cette impression est passée.
Voilà. Il y a encore beaucoup à dire. Je
ne sais pas si je continuerais ce texte.
Je n’ai pas voulu donner une méthode non plus, mais si ça
peut aider quelqu’un… on peut en parler de toutes façons.
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