Comme ca, un récit vivant
Comme ça

Un récit de Yves Petident.
Ce texte est vivant, il se développera au fil des semaines, des mois...
Tout seul comme un grand...
Premier pas
Le 10-12-1999
 Bah, après tout, si ça lui plaît d'être comme ça, c'est son problème. On ne va pas rester là... ça changerait rien. Bon, moi je me tire. Qui vient ?

Ils ont tous voulu rester. Ils ne voulaient pas le laisser comme ça.

Quand je suis arrivé en ville, mes cheveux étaient secs, mon short de bain aussi. Le soleil à travers le pare brise, la vitre ouverte, le vent chaud. J'ai garé la voiture sous la fenêtre de son appartement et en l'appelant j'ai enfilé ma chemise

« Pascale ! Pascale ! »

Comment elle fait pour rester les fenêtres fermées par cette chaleur...

« Pascale, tu viens oui, je t'attends... »

Elle est apparue par la porte qui donne sur la rue, tout sourire.

« Comment tu fais pour rester les fenêtres fermées par cette chaleur ?

- Comment tu fais... gnagnagna... tu me dis ça à chaque fois... j'aime pas le bruit... je préfère avoir chaud. »

On a traversé la rue.

Je ne comprends pas, je dois être un des seuls à circuler dans sa rue. Et encore, c'est juste pour venir me garer sous sa fenêtre. Elle est déserte sa rue.

« C'est les gamins à vélo que tu ne supportes pas ? »

On est arrivé sur la place de la Poste.

« Les gamins, les chats... même le bruit du vent.. j'aime pas. »

On s'est installé à la terrasse du café de la Poste. On voyait la Poste à travers le rideau d'eau qui coule de la fontaine.

« Le vent ? Aujourd'hui ? Le vent ?...

- Oui aujourd'hui peut-être il y a pas de vent... mais y'a 3 chiens qui n'arrêtent pas de gueuler toute la journée »

C'est vrai que c'est pénible les chiens qui aboient. Mais de là à rester les fenêtres fermées.

« Tu as un ventilateur au moins ?

- C'est un truc pour s'enrhumer ça...

- Oui, c'est vrai... »

On avait commandé nos demis. Quand je l'ai regardée pour lui dire que je comptais partir ce soir, elle avait de la mousse sous le nez. J'ai rigolé. Elle se doutait bien pourquoi. Elle a rigolé aussi en se penchant en avant pour se cacher et essuyer la mousse. Elle riait et moi je me disais que j'avais oublié mes cigarettes dans la voiture.

La veille, quand j'avais annoncé à ma mère que je partais, elle m'avait pris la main et l'avait serrée très fort. Je crois qu'elle était contente à cette idée et que c'était une façon de me le faire comprendre. Ca aurait été plus simple de me dire quelque chose. Mais non, elle était restée silencieuse, en me serrant la main. Les lèvres et le menton tremblants. C'est con comme attitude. Maintenant, je ne sais pas exactement ce qu'elle a pensé, ce qu'elle a éprouvé, c'est malin. On croit que les sentiments ça se sent. Ca doit venir du fait que les mots se ressemblent. Moi, je ne sens rien. Faut qu'on m'explique. Mais je n'ose pas demander. Alors je reste comme un con avec mes questions.

Au moins, avec Pascale, c'est clair. Quand elle rigole, je comprends. Et elle, elle sait pourquoi je rigole, et pourquoi elle rigole aussi. On se dit tout. Bien sûr, je ne lui avais pas dit qu'elle avait de la mousse sous le nez, mais elle a bien vu que je regardais juste là. Au-dessus de sa lèvre. Ca, par contre, le regard, je comprends. Ma mère ne me regardait même pas hier. Elle regardait nos mains.

Pascale a commandé un autre demi, un chacun. On a beaucoup parlé, surtout de sa technique pour rafraîchir les pièces de son appartement. En fait, elle a un truc très simple, mais très ingénieux. Elle laisse la porte de son réfrigérateur ouverte. Pas tout le temps. Ca rafraîchit bien sa cuisine. Pour sa chambre, son unique autre pièce, elle n'a pas de moyen, alors elle n'y va que la nuit. La nuit, c'est mieux pour elle, parce qu'il fait plus frais dehors. On est pareils Pascale et moi sur beaucoup de points. La nuit, moi aussi, j'ai constaté qu'il fait plus frais dehors.

Quand on s'est levé pour partir, Pascale m'a demandé si je pouvais payer les demis. Je lui ai dit que oui et je lui ai dit aussi que je partirai ce soir. Elle s'est rassise. Elle attendait que j'en fasse autant, mais je devais aller à la voiture.

« Tu ne peux pas te passer de cloppes, vraiment pas ?

« Si, je crois, mais je n'ai jamais essayé encore... »

Elle a appelé Philippe le serveur et lui a commandé 2 autres demis.

J'étais déjà de l'autre côté de la place.

Ma voiture avait ça de pratique, elle ne fermait pas à clef. Je n'avais donc jamais peur de me retrouver coincé dehors en ayant oublié mes clefs à l'intérieur.

Autre chose de très pratique aussi, sa boîte à gants. Très volumineuse. Je pouvais y mettre plusieurs paquets de cigarettes, en réserve. J'en ai pris un, tout neuf. Je l'ai ouvert, assis au volant. J'ai sorti une cigarette, en m'enfonçant dans le siège. J'ai coincé le filtre entre mes dents et j'ai mis le contact pour l'allume cigare.

Je ne peux pas les laisser comme ça.

Rouler la cloppe au bec, ce n'est pas bien. La fumée vient dans les yeux, des petits morceaux de cendre aussi. C'est dangereux. Mais l'expression «la cloppe au bec» me plaisait bien. Je m'imaginais avec mon grand bec de corbeau, comme dans un dessin animé. J'allongeais mes lèvres pour imiter un long bec de corbeau. Ou de canard peut-être. Je me disais que je devais ressembler à un personnage de BD. J'étais assez fier et ma chanson préférée passait sur mon auto radio. Normal, c'est moi qui l'avait mise. C'était une K7, pas une chanson à la radio. Mais elle passait tout de même sur mon auto radio-K7.

Short de bain et chemise, je me disais que ce serait un peu juste pour passer plusieurs jours. Je me disais beaucoup de choses, mais j'étais bien incapable de réfléchir à quoi que ce soit. Je roulais, la cloppe au bec.

Le vent chaud, la chaleur. Les nuages qui gonflaient à mesure que je roulais. Ils gonflaient à vue d'oeil, se chargeaient de pluie. D'orage. Je les voyais qui boursouflaient de tous les côtés. Ils devenaient de plus en plus gros et gris, gris foncé, noirs. Une première tâche d'eau sur le pare brise. Et les essuies glace qui entrent en action. Le bruit de l'eau sous les pneus. Ca ne me plaisait pas qu'il pleuve, non plus qu'il y ai des éclairs pareils. Des énormes paquets de lumière jetés dans le ciel, n'importe quand, n'importe où. Le plus souvent en plein devant moi, m'empêchant de me concentrer sur la route. Je savais bien que dans quelques minutes je serais arrivé, mais j'aurai bien voulu m'arrêter. Si quelqu'un avait été avec moi dans la voiture, je lui aurais dit que j'avais peur. Mais j'étais seul et je ne pouvais parler à personne.

De l'autre côté de l'orage, il n'avait même pas plu. Les rues du village étaient sèches, tout était ensoleillé, blanc.

Dans la cours de la ferme, madame Coprin s'est levée de son transat pour venir à ma rencontre

« Il est tombé quelque chose de l'autre côté hein ? J'ai vu ça quand je suis montée à l'étage tout à l'heure. On voit bien de là haut quand ça tombe là-bas. On voit les nuages qui tournent au-dessus. C'est bien tombé non ?

- C'est bien tombé oui. J'étais sur la route moi. Ca m'a foutu la trouille même.

- T'as la trouille de l'orage toi...

- J'ai la trouille de l'orage oui, en voiture surtout. Quand je suis à la maison, j'ai pas la trouille, mais en voiture oui.

- Moi je prends jamais la voiture quand il y a de l'orage.

- Mais je ne pouvais pas prévoir. Il m'a surpris sur la route.

- Quelle idée de prendre la voiture quand il y a de l'orage aussi

- Je ne savais pas qu'il allait y avoir un orage, je ne savais même pas que j'allais prendre la voiture d'ailleurs

- Quelle idée

- Non, c'était même pas une idée, c'était comme ça, c'était pas prévu

- Oui pourquoi tu viens me voir alors ?

- C'est ma mère

- Qu'est-ce qu'elle veut ta mère ?

- Je crois qu'elle est contente que je parte »

Madame Coprin, c'est une amie de ma mère. Une amie d'enfance, elles ont passé toutes les 2 toute leur enfance dans le même village. Celui où madame Coprin vit encore avec son mari, agriculteur.

Madame Coprin parlait debout, comme toujours. Au milieu de la cours. J'étais assis sur le capot tout chaud de ma voiture et je lui parlais, dans mon short de bain. J'avais mon paquet de cigarettes dans la poche de ma chemise ouverte. Je pouvais me servir facilement tout en parlant avec madame Coprin.

« Si elle est contente, c'est le principal

- Mais je n'en suis pas sûr

- Elle te l'a dit ou pas ?

- Non, elle n'a rien dit justement

- Si elle a rien dit c'est qu'elle le pense

- Elle pense quoi ?

- Que c'est bien que tu partes

- Comment vous le savez ?

- Si elle n'était pas contente, elle te l'aurait dit

- Oui

- C'est sûr ça »

Madame Coprin était une femme très intelligente. Elle, elle savait sentir les choses et les dire aussi. C'est pour ça que j'étais venu la voir. Maintenant que j'avais la réponse à ma question, je me disais que je n'avais plus rien à lui dire et j'écoutais les dindons, les poules, les pintades

« Vous n'avez plus de canards ?

- Ils sont tous à la mare, c'est pour ça que tu les entends pas

- Ils sont pas fous les canards, il se mettent au frais, c'est pas comme les pintades

- Les dindons et les poules non plus ils vont pas à la mare

- Oui, c'est con un dindon

- Une poule aussi

- Et une pintade aussi

Je regardais madame Coprin qui regagnait son transat. Son mari devait être sur sa moissonneuse batteuse, et elle, elle était sur son transat. Il devait être heureux au volant de sa grosse moissonneuse batteuse, monsieur Coprin. Il l'avait achetée l'année dernière. Je l'imaginais, fier. Son fils qui attendait dans le tracteur au bout du champ, avec la remorque déjà à moitié pleine de grain.

Et madame Coprin, fière aussi, de son mari et de leur fils, allongée sur son transat, dans la cours de leur ferme, au soleil. J'avais les mains appuyées sur le capot de ma voiture, assis, les bras tendus en arrière et j'étais un peu fier aussi, pour eux.

J'aurais bien bu une bière, mais je n'en avais pas dans la voiture. De toutes façons, elles n'auraient pas été assez fraîches.

J'avais laissé madame Coprin comme ça, et j'étais parti, avec l'envie d'une bière.

Quand je suis retourné à la terrasse du café de la Poste, Philippe le serveur, m'a dit que Pascale avait eu 2 enfants avec un infirmier. Je lui ai demandé s'il avait vu ma mère et il m'a dit qu'elle était morte il y avait 2 ans déjà. Il savait même que madame Coprin avait divorcé... et qu'elle s'était remariée avec le concessionnaire NewHolland.

« Et le gars qui voulait rester comme ça ?

- J'en sais rien...

- Tu me mets un demi s'il te plaît ?

- Un demi

« Merci »

Ce qui me faisait drôle c'est que la fontaine ne coulait plus.

Vers la suite...  
   

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