Comme ca, un récit vivant
Comme ça
Un récit de Yves Petident

Un deuxième pas

Le 11-01-2000
 

Je m'appelle Paul. C'est comme ça. Quand on répète en liant les mots, ça sonne bien je mappellepaul... pelpaul... pelpaul.

C'est ma mère qui a choisi mon prénom. Mon père était en déplacement, quelque part sur la route entre chez nous et un chantier.

Son chef d'équipe n'avait pas voulu le laisser partir pour ma naissance, comme pour celle de mes frères et soeurs. Ma mère a beaucoup souffert du fait que je sorte par le siège. A cette époque ça ne se faisait pas. Enfin, on n'y était pas habitué. Les sages-femmes surtout. Moi, je m'y étais fait, à l'envers dans le ventre de ma mère. Je n'avais rien connu d'autre. Ma mère en a beaucoup souffert. C'est Pascale qui me l'a dit, un jour que j'étais venu à la maternité voir ses sous-vêtements sous sa blouse rose. Parfois, quand dans la journée cette image me manquait, je prenais la voiture et je montais à l'hôpital.

J'allais dans la salle des infirmières et elle me parlait. De ses accouchements, de ses collègues. Assise, comme ça sur le bord de la table. Ce jour là, elle m'a tout expliqué.

« Je sais pourquoi tu dors mal la nuit

- Je ne dors pas si mal que ça

- Tu m'as dit que souvent tu dormais mal

- Souvent oui, mais pas si mal que ça

- Tu dors mal comment ?

- Plutôt pas mal, mais je me tourne et retourne tout le temps

- Oui, c'est ça

- Tu sais quelque chose ?

- Oui, j'ai appris aujourd'hui que c'est parce que tu es né par le siège

- A l'envers ?

- Les fesses en premier, oui

- Et c'est pas bien ?

- C'est pas mal non plus, mais ça a fait mal à ta mère

- Et c'est pour ça que je me tourne en dormant ?

- Oui, parce que tu ne sais jamais où mettre ta tête. Parce qu'elle n'a pas été serrée quand tu es sorti. Il y avait plein de place, alors, elle cherche toujours à être calée contre quelque chose. C'est ça que tu cherches en te retournant tout le temps.

- Et ma mère ?

- Elle a eu mal, c'est sûr»

Mon père aussi a eu souvent mal, à cause d'accidents du travail. Des pierres sur les mains, des barres de fer sur les jambes, des bout de ferraille plantés dans la cuisse, des gelures aux doigts. Mais c'est à cause du trop de place pour ma tête que je dormais mal.

Pascale était vraiment une bonne infirmière. Elle savait tout sur moi. Je connaissais la couleur de ses culottes et de ses soutien-gorge. Un bouton mal attaché et je connaissais la couleur. Mais j'écoutais très attentivement aussi, tout ce qu'elle me disait.

Je suis quelqu'un de très attentif, surtout au volant. Aucun chevreuil même étourdi ne me surprendra jamais. J'anticipe sur la route, je prévois les mouvements des bestioles, je fais attention à chaque fossé, chaque sous-bois, chaque piquet de clôture, chaque coin de rue. Un chat est rarement seul. Il faut s'attendre à en voir débouler un autre juste derrière lui. Parfois plusieurs s'il s'agit d'une mère qui trimballe toute sa petite famille. Faut être attentif à la campagne. Avec les grand-mère qui marchent au milieu de la route, et les enfants qui y jouent au foot. En ville aussi. Surtout sur le boulevard qui monte à l'hôpital. Il y a beaucoup de circulation et peu de largeur.

Je suis quelqu'un de très attentif, né à l'envers.

A suivre...  
   

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